Je viens de passer 5 jours et 5 nuits immergée dans une baignoire remplie d’eau. Pour la science.
Non, il ne s’agissait pas de regarder la vitesse à laquelle la peau fripe, d’autant que je n’étais pas en contact direct avec l’eau, une bâche et un drap me permettant de rester au sec. Il s’agissait d’étudier les effets de l’impesanteur sur le corps des femmes.
Cette étude, dite d’immersion sèche, a été menée par la clinique spatiale MEDES, à Toulouse, sur demande des agences spatiales française et européenne. 18 volontaires se sont ainsi succédé dans les 2 baignoires de la clinique. 18 femmes. Les équipages d’astronautes devant se féminiser, les agences souhaitent étudier plus avant les effets provoqués par l’absence de gravité sur les organismes féminins.
Le modèle d’immersion sèche a été développé en Russie. La pression exercée par l’eau et la bâche sur l’ensemble du corps est interprétée par l’organisme comme une absence complète d’appui, comme en impesanteur. D’autant que le corps reste quasiment immobile, jamais vertical et en flottaison, donc sans appui. Les effets sont intenses et rapides.
Si mon organisme s’est cru dans l’espace pendant 5 jours et 5 nuits – soit 120 heures, 7200 minutes, 20 repas – ma tête ne l’a pas tout à fait vécu de la même manière… La pression et l’immobilité ont été assez difficiles à gérer, d’autant que l’expérience peut provoquer certaines petites douleurs ou inconforts. Le corps s’allonge (j’ai gagné un cm… que j’ai perdu en 2 jours ! ) ce qui peut provoquer des maux de dos. J’ai également eu mal au ventre, avec cette impression étrange que mes organes voulaient changer de place. Notez qu’il s’agit d’un ressenti tout à fait personnel, qui diffère d’une femme à une autre, et croyez-moi, nous avons eu le temps d’échanger sur le sujet avec ma « binôme », ma colocataire de baignoire, Marlène.
« Cette impression étrange que mes organes voulaient changer de place… »
Mes douleurs se sont estompées au cours de l’étude, j’ai appris à gérer l’inactivité et la pression de l’eau sur mon torse. Et j’en retire au final une grande satisfaction. Celle d’avoir aidé la science, la recherche, l’exploration spatiale. J’ai prêté (ou peut même dire loué, puisque nous sommes rémunérées) mon corps à la science et j’en suis fière.
D’autant que la science me l’a rendu, mon corps, avec en bonus un check-up médical complet. Pendant les 11 jours d’hospitalisation, j’ai « subi » plus d’une soixantaine d’examens divers, sans parler des quotidiennes prises de tensions, de température, pesées, et prélèvements de toutes les urines et de la salive. Par exemple ? IRM, test d’effort maximal (VO2 max), tests de force musculaire, de contractilité des muscles par tensiomyographie, mesure du volume plasmatique, pléthysmographie veineuse, mesure de la composition du corps par impédancemétrie, calorimétrie indirecte, DEXA, examens ophtalmologiques, mesure de la pression de l’œil, tests de posture, d’équilibre et de marche, échographies de l’œil, des artères, du cœur… Le nombre de paramètres étudiés avoisine les 200 ! Toutes ces données seront analysées par des scientifiques français, allemands, italiens, autrichiens… Peut-être qu’un jour, une astronaute, embarquant vers la Lune, bénéficiera d’un dispositif développé pour améliorer son confort, un peu grâce à nous, les 18 volontaires.
200 paramètres étudiés
J’ai beaucoup appris. Sur le corps humain, sur mon corps. Sur les moyens d’étude, sur les techniques et équipements médicaux, sur la vie d’un hôpital ou d’une clinique. Car j’ai pu discuter, échanger avec des professionnels passionnés, qu’ils soient médecins, professeurs ou infirmiers. Toujours enclins à répondre à mes nombreuses questions. « Et cet appareil-là, il fonctionne comment ? », « Et comment vous comparez ces données ? », « Combien de paramètres vous étudiez ?»,« Et aux urgences, comment vous faites quand… ? » J’ai vécu une expérience humaine incroyable. Je suis vulgarisatrice scientifique, et je traite souvent des problématiques liées aux spatiales et aux vols habités. Les effets induits par l’impesanteur ne m’étaient pas inconnus, en théorie. Mais désormais, je les ai « vécus ». Et si je dois prochainement interviewer Thomas Pesquet, je pourrais lui dire « toi aussi tu as ressenti ça, collègue ? »